Samedi 24
novembre 2012
On est en novembre. Un coup de sud en novembre,
cela n’a rien d’exceptionnel. Ce qui l’est un peu plus est la
température de la masse d’air (Iso 0 vers 3000 mètres) et son
aspect « post orageux » le matin. Le trottoir est
là, pas très haut, 4000 mètres ; mais sous le vent, on
observe des cumulus « couillus », nuages qui
témoignent d’une sorte de convection vers le bas. La masse
d’air de l’étage moyen est donc convective. Certains nuages
éloignés coté espagnol ont une forme crénelée que l’on connaît
bien en été : cumulus pré-orageux. Bien sûr on sait que
ça ne virera pas à l’orage, il n’y a pas assez d’énergie qui
arrive au sol pour déclencher une convection assez puissante,
mais il faut s’attendre à de la turbulence même au-dessus du
sillage pyrénéen.
Pierre confirme que la branlée est de mise, on
vérifie donc le harnachement plutôt deux fois qu’une. Même les
gâteaux (ça vole bien les gâteaux secs) sont bien planqués.
La stratégie de remorqué est donc : prise
d’altitude de sécurité sur le terrain par un grand 360, pour
assurer un retour en cas de casse câble, et aussi éviter une
turbulence de basse couche dans le sillage du relief au vent
le plus haut pour arriver assez haut sur la zone de
largage. Comme le vent de face est fort, on arrivera
effectivement haut. Mais quel panier à salade. On peut admirer
le remorqueur de profil, le voir valser avant qu’on valse
soi-même, le grand shaker. Le plan était d’aller chercher le
ressaut des Issarbes. Le secondaire dit de la Montée
Impossible ( tout un programme, mais ce nom vient de la
compétition annuelle de motos grimpeuses) au-dessus d’Arette
suffira. En fait, c’est tellement violent qu’au premier +5
prolongé je libère Jacques qui peut redescendre au calme. Ça
monte à 3000 mètres avec tout de suite du laminaire. Rien de
plus classique vu l’altitude. Illusion de bonheur. La
transition vers les Issarbes est virulente, et ce n’est pas le
sillage de la montagne, mais bien l’instabilité de la masse
d’air qui est en cause. Il me faudra un moment pour comprendre
que la politique du 8 des manuels de formation est
inapplicable. Je reste en l’air grâce à la trace GPS. On
revient à coup sûr là où ça monte, mais c’est subtil. Avant
d’avoir pigé, il y aura quelques tentatives d’avancée au vent
en espérant toujours mieux, de sévères séquences de vols
balistique avant un retour la queue basse aux Issarbes. Et là,
ce sont les vautours qui ont fini par me donner une leçon,
comme d’habitude, pendant que Florian décollé de St Gaudens
annonçait qu'il jetait l'éponge.
Que fichent des vautours, en onde, à 3200 mètres
soit plus de 1300 mètres au-dessus du sol le plus haut ?
Il y en a un paquet et ils ne sont pas face au vent. Ils
enroulent, sous la masse noire, laquelle sous le vent se
transforme en cheveux de neige. Il faut donc traiter le
problème comme du bon vieux thermique sous cumulus pour monter
au plafond, et oublier les huit dans un laminaire absent à
l’altitude habituelle aujourd’hui. Et ça monte bien. On ne
combat pas la dérive, on laisse faire. Quelques
chiffres : 1000 mètres gagnés en 5 minutes, mais dérive
de 10 km, plein Est. Le vent est peut-être du Sud-Ouest, mais
la dérive parfaitement dans le lit du ressaut, parallèle à la
composante plein ouest, 60km/heure.
En fin d’après midi l’instabilité semble se
tasser, et on terminera la journée dans des conditions
conventionnelles, enfin, presque. En basses couches
coté Espagnol, le vent est manifestement de Sud-Est, entre
4000 et 5000 mètres il semble d’Ouest (avec même un chouia à
l’Ouest de la verticale de l’Anie une dérive constatée du
290!). Entre les deux, ça doit être Sud, car on ira virer au
km 60 à l’ouest pour aller voir l’Océan, sans vraiment perdre
d’altitude.
Quelques images:
épilogue.
Samedi vers 13 heures a vu le jour Sophie,
petite sœur d’Héloïse. Le téléphone, que j’avais omis
d’éteindre en l’air, est resté sourd jusqu’à retrouver du
réseau. Le Carillonnage
s’est fait entendre simultanément à l’annonce
« en courte, landing sortis ».
Vous savez quoi ? le grand-père heureux a attendu la fin
du roulage pour décrocher.
La vie est belle
Debriefing
Florian à St Gaudens n'a pas
réussi à rester en l'air et Bertrand, à Oloron, à
accrocher malgré deux tentatives.
Pierre et Robert ont dû se poser, leur passager ou
copilote étant malade. Pour avoir vécu ce genre de
mésaventure un paquet de fois, je sais combien c'est
frustrant de voir ou entendre les autres se balader, à
4500 mètres dans le laminaire pendant qu'on se pose
épuisé, avec les dents du fond qui baignent.
A Oloron, nous avons décollé derrière le passage nuageux
qui a gêné Florian. Contre un passage humide qui
d'ailleurs peut être d'intensité différente entre deux
secteurs des Pyrénées, on ne peut faire grand chose. Soit
on passe au dessus, mais il faut être certain de pouvoir
redescendre sans passer en conditions IMC, soit on passe
en dessous, et ça se gâte. Car l'altitude de travail,
comme d'accrochage, sont la clé qui ouvre la porte au
voyage. Cette clé a été bien décrite dans le Blanchard
Illustré.
La zone laminaire est d'autant plus haute que le relief
qui la déclenche est haut. Aux Issarbes, par vent de
Sud-Ouest voire très Ouest, à 2000 mètres, on est
confortablement au-dessus de la turbulence de
sillage des sommets au vent, sauf peut-être de l'Orhy. A
1500 mètres on est en dessous. Ces 500 mètres peuvent
faire la différence. Si le vent faiblit entre deux
remorqués successifs, le second arrivera plus bas, et
larguant au même point en XY, il sera en dessous de la
zone de confort en Z. C'est la raison pour laquelle je
précise les positions et altitudes et gains en montée à la
radio, pour le suivant.
Les sommets de Luchon sont à 3000m et plus. A
moins de se faire remorquer très très haut, le laminaire
déclenché par le 1er relief, est donc sur le
papier impossible à attraper en remorqué. Dans la réalité,
heureusement la turbulence de sillage diminue avec
l’éloignement de ce qui la provoque. Si le vent est mal
orienté ou faible, cela ne laisse pour un maximum à 4500
mètres que peu d’épaisseur exploitable entre le plafond et
la zone turbulente.
Par vent faible, on ira chercher le 1er
ressaut, par vent fort, on larguera loin en arrière telle
est la règle.
D’autres phénomènes viennent mettre un peu de
piment, comme les entailles dans le relief voire les
formes de la partie supérieure des vallées. A ceci
s’ajoute parfois la caractéristique propre de la masse
d’air. Samedi, elle était stable en bas, terriblement
instable jusqu’à 4500 mètres, sans doute plus stable au
dessus, quoique. Dans
une masse d’air très instable mais sèche, aucune nuelle ne
va baliser les rotors, invisibles pour le vélivole. Les
premières condensations étant à 4000 mètres, cela donne
idée du contenu en humidité, digne d’un climat désertique.
Heureusement, un couvercle d’altitude, vers 6000 mètres,
non affecté par le relief d’ailleurs, empêchait l’énergie
solaire d’arriver au sol. Il limitait la puissance des
ascendances, et de la turbulence associée. Les ascendances
se déclenchaient là où sont les ressauts, comme
d’habitude. Le vent était fort, avec une composante Ouest
marquée, 60km/heure (au moins) de dérive observée
lorsqu’on ne cherchait pas à la combattre. Car c’était
plus comme un vol en thermique qu’il fallait agir, le
passage en onde conventionnelle n’étant possible que vers
3500 à 4500 mètres, comme en plein été. La violence des
vols d’onde d’été m’a fait renoncer d’ailleurs à toute
mise en l’air dans ces conditions, depuis lurette. Et
l’été, c’est jusque fin septembre. Pierre sait de quoi je
parle. C’était avant l’invention de l’internet pour tous
et de la création du site du club.
Dernier paramètre, la direction du vent,
variable en altitude.
Secteur sud en haut, Est en bas, rien de plus
classique coté français. Coriolis ne s’applique pas sur de
courtes distances. Le vent souffle en ligne droite de la
haute pression vers la basse pression dans les basses
couches. Et à l’approche du système, la pression basse est
à l’Ouest. Samedi 24 novembre, les cartes et simulations
en lignes de courant près du sol montraient un vent de
Sud-Est, coté Espagne. Les photos confirment ce fait. Nous, en
altitude on avait une dérive d’Ouest. La dérive est
influencée par la forme même du ressaut, mais correction
faite, cela fait 90° d’angle entre les deux directions. Il
doit bien y avoir une altitude ou un cisaillement sème le
bazar. Le jour de septembre évoqué par Florian dans son
récit, il y avait un phénomène moins marqué mais vers 3000
mètres, du même type. Cela n’a pas facilité sa tâche. Pour
réaliser de beaux vols en onde, il faut adapter l’altitude
de largage aux conditions (direction du vent, force, type
de masse d’air) et pour voler loin, mieux vaut que les
directions de vent soient homogènes sur toute la coupe
verticale, sinon, au moindre point bas, c’est l’angoisse.
Ce qui est sympa en vol à voile, c’est qu’on
apprend à chaque vol